Journalistes Ecrivains |03.12.2011|
Nicolas Imbert, directeur exécutif de Green Cross France et Territoires
Lors du forum de Rio, en 1992, un groupe de délégués, dont le Commandant Cousteau, avait imaginé la création d’une organisation similaire à la Croix Rouge internationale, focalisée sur l’environnement. Le Président Mikhail Gorbatchev, mieux informé que quiconque sur « l’arsenal de destruction durable » hérité de la guerre froide, a relevé le défi. Green Cross est née en 1993 avec les priorités suivantes : l’accès à l’eau, la démilitarisation, le désarmement, la médecine sociale et la solidarité. Aujourd’hui présente dans plus de 35 pays, GC élargit son action à la prévention des crises écologiques, énergétiques et alimentaires, trop souvent à l’origine des conflits armés. Dotée d’une expérience spécifique tant globale que locale, notre organisation arrivera à Rio + 20, décidée à maximiser les résultats du sommet.
Quelques applications concrètes ?
Prenons l’accès à l’eau, aujourd’hui stratégique sur tous les continents. La Convention des Nations-Unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux a été signée en 1997 pour désamorcer les conflits entre Etats riverains. Son entrée en vigueur reste encore en attente de ratifications Par ses actions de plaidoyer, Green Cross s’efforce de les obtenir d’ici le Forum Mondial de l’eau en mars 2012. Par ailleurs, nous sommes actuellement préoccupés par le partage des eaux du Nil, majoritairement exploitées par l’Egypte au cours de l’histoire, ce qui ravive aujourd’hui les tensions avec le Soudan, le sud Soudan et l’Ethiopie.
Dans les pays industrialisés, c’est le cocktail de polluants accumulés dans l’eau qui devient un problème de société et de santé publique. GCFT prépare pour 2012 un Livre vert sur les enjeux de la pollution des littoraux, des grands fleuves et des lacs intérieurs en France et en Europe, dont nous dévoilerons les premiers résultats à Rio. On y trouvera l’état des connaissances sur les impacts santé-environnement ainsi qu’un tour d’horizon des technologies de remédiation. Comme on le verra, les coûts de dépollution incitent à se mobiliser sur la prévention !
En tant que co-coordinateur du Sommet, Brice Lalonde, plante fermement le décor : Rio + 20 n’est pas Rio 92 + 20, mais 2012 + 20. Certains parlent même de poser un cliquet sur les décennies passées. Qu’en pense GC ?
L’image du cliquet est intéressante si l’on veut que la prospective tire le Sommet. Rio 92 a lancé le paradigme d’une nouvelle gouvernance. Depuis, la société civile a appris à travailler dans le concert des nations, si discordant soit-il. Chaque sommet impulse un nouveau tempo. Nous avons une partition globale à jouer d’ici les 20 prochaines années. Partition qui s’invente rapidement sur les territoires et dans la coopération décentralisée.
Parmi les plus actifs pour Rio, l’ICLEI (le Conseil International des Gouvernements Locaux pour le Développement Durable) rassemble déjà près de 1500 collectivités engagées sur tous les continents : des villes en quête d’un urbanisme soutenable pour pouvoir accueillir la moitié de l’humanité, des
assemblées territoriales qui échangent leurs meilleures pratiques. Certains pays ont franchi sans attendre le seuil de non retour. Le Costa Rica ou la Suède sont parés pour le XXIe siècle. L’Allemagne vient de mettre un cliquet à sa stratégie énergétique tout en maintenant le cap sur ses objectifs climatiques. Parmi les émergents, la Chine et le Brésil, certes responsables de dommages parfois irréversibles, lancent des innovations alternatives où l’écologie devient vecteur du développement. C’est précisément là que GC veut placer le cliquet pour les 20 prochaines années. Si nous n’y parvenons pas, la compétition économique aura raison des ressources écologiques. Et le perdant sera… l’homme.
Selon Brice Lalonde, les pauvres de la planète sont « très remontés contre l’écologie ». Ils exigent avant tout la justice sociale. Est-ce compatible avec votre démarche ?
La situation est extrêmement hétérogène par continent. Dans de nombreuses contrées du monde, la question la plus préoccupante reste l’accès à l’eau, à l’alimentation, à l’énergie.
A contrario, les économies occidentales ont longuement prospéré sur une exploitation sans compensation d’une grande partie des réserves fossiles de la planète.
Pire, certains instruments de compensation et de péréquation imaginés dès Rio 92 se sont transformés en outils spéculatifs – cela n’est pas sain et les pays pauvres s’indignent légitimement de ce détournement d’objectifs. Globalement, nous pensons que la transition des 20 prochaines années passe par un changement de paradigme économique. La crise financière qui frappe les pays de l’OCDE rend obsolète notre modèle actuel : il faut tendre progressivement vers la proximité des productions vitales, l’économie réconciliée avec l’écologie et le social. Cela passe par des innovations technologiques et sociétales adaptées.
Les idées les plus simples ont parfois des effets systémiques remarquables. Exemple, le projet « smart water for green schools » que nous avons testé au Ghana. 20 écoles ont été équipées d’un point d’eau potable pour les enfants et leur famille. Les maladies hydriques ont été éradiquées, les femmes libérées de la corvée d’eau et tous les enfants sont scolarisés. Ce programme est maintenant en cours d’adaptation en Bolivie. Pauvreté, insécurité, dégradation de l’environnement, mais aussi accès difficile à l’éducation, c’est ce cycle infernal que nous devons inverser.
Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations-Unies, a inscrit les objectifs du millénaire au sommet de l’agenda de Rio + 20. Est-ce la solution ?
Green Cross a déposé un cahier d’acteur, en contribution au draft 0 de Rio + 20. Nous pensons que l’accès universel à une énergie propre et durable, la sécurité alimentaire via le nexus eau-énergie-agriculture est une priorité réalisable bien avant 2030 pour peu qu’on y consacre chaque année le budget d’armement nucléaire de la planète, soit 109 milliards de USD en 2011 ! Nous proposons de faire de Rio+20 l’occasion unique de sceller un plan d’action global chiffré à l’intention des gouvernements, des entreprises et de la société civile, répondant aux trois questions clefs : qui ? quand ? comment ?
Cela passe aussi par un registre d’engagements contraignants comprenant le partage des tâches, l’objectif de résultat et le plan de financement annexé a la déclaration finale. En parallèle, les nations doivent se doter d’un levier d’action coercitif, à même de matérialiser une sanction rapide, financière et juridique, vis-à-vis des acteurs de dommages écologiques majeurs.Nous proposons qu’une instance juridique de rang supranational complémentaire des instances existantes voie le jour dès 2013 pour juger en direct ces dommages spécifiques. La force de la persuasion et l’importance de la sanction, permettraient d’éviter que les catastrophes écologiques ne se multiplient d’une décennie à l’autre. S’ils avaient intégré en amont les coûts directs et indirects (d’assurance notamment) liés à l’existence d’une telle instance, les projets industriels responsables des catastrophes du Golfe du Mexique, de Fukushima ou d’Ajka, pour ne citer qu’eux, n’auraient pu voir le jour, en privilégiant la rentabilité économique au détriment des conditions de sûreté.
A ce propos, le Japon demande une meilleure prise en compte des catastrophes naturelles et technologiques. Que faut-il en attendre ?
Le sujet doit être traité dans une logique de prévention, sur le temps long. Il y a un avant et un après Fukushima. L’urgence va vers le soutien aux populations touchées, et la mise en sûreté de l’ensemble des installations nucléaires mondiales.
Green Cross s’est mobilisé dès sa création sur le soutien aux populations de Tchernobyl. Elle a lancé le programme de médecine sociale Socmed pour les habitants de la zone contaminée en Russie, Biélorussie et en Ukraine. Nous suivons 5000 enfants affectés de maladies chroniques tout en surveillant l’évolution de leur environnement. La Suisse a en partie fondé sa sortie du
nucléaire suite à une visite du site organisée par Green Cross, 25 ans après la catastrophe.
Or les environs de Fukushima comptent une population 10 fois supérieure à celle de Tchernobyl, et le gouvernement japonais tarde à mettre en place un programme de médecine sociale. Nous pensons que l’effort de reconstruction au Japon est énorme, qu’il s’agisse de contamination des sols, de l’eau et des aliments, mais également en terme d’impact sanitaire et psychologique, notamment lors des traumatismes liés au déplacement de populations.
Pour améliorer le suivi des crises potentielles à venir, il est essentiel que le Japon livre le retour d’expérience de Fukushima en toute transparence.
Plus près de nous, quels seraient les effets d’un accident nucléaire dans des régions aussi peuplées que l’Ile de France ou la Vallée du Rhône ? Les Français n’en sont que partiellement informés. Pourtant « l’impensable arrive ». Le débat énergétique ne se résume pas en une approche comptable de milliards investis par énergie produite ni même d’emplois détruits pour les emplois créés.
GCFT s’intéresse-t-elle à d’autres secteurs déterminants pour les choix énergétiques des Français ?
Nous avons lancé la création d’un modèle stratégique de risques sur les enjeux économiques, écologiques et sociaux de l’exploration et de l’exploitation des huiles et gaz de schistes. La confrontation des scénarios et des données, l’anticipation des effets sur le temps long manquent de formalisation et d’estimations indépendantes quantifiées, ce qui rend le débat contradictoire difficile. Avec l’aide d’une société spécialisée dans le risque systémique, nous analysons et compilons les retours d’expérience aux Etats-Unis, en Pologne et en France, pour proposer un modèled’évaluation adapté au contexte français. Un outil et des supports permettant de sensibiliser les décideurs à une approche élargie du risque seront communiqués courant 2012.
Nicolas Imbert, vous avez accepté la direction exécutive de Green Cross France et Territoires après 12 ans d’expérience dans des cabinets conseils prestigieux. Pour quelle raison ?
Nos sociétés ont besoin de prospective, de vision, de démonstration par l’exemple et l’expérimentation. Depuis le début de mon activité d’ingénieur conseil, je parle de transition écologique avec des acteurs importants qui viennent du même monde économique que moi et des représentants des administrations publiques en quête d’objectifs clairs. Parallèlement, la société civile et les ONG ont évolué du rôle historique de lanceurs d’alerte vers celui de co-acteurs d’une nouvelle gouvernance. Ils savent pointer le doigt là où ça fait mal, proposer des solutions et démontrer aux acteurs économiques l’urgence d’infléchir leur stratégie. L’innovation sociétale est en marche. Pour enclencher une vitesse rapide, il faut instaurer une coopération sincère. J’ai la chance de pouvoir jeter des ponts entre ces deux mondes. Une force que l’on va de plus en plus rencontrer dans le paysage associatif;
Marie Hellouin