Alors que s’amorcent depuis janvier 2012 les signes annonciateurs d’une déstabilisation profonde de la sous-région et d’impacts vitaux sur les populations, le conflit au Nord-Mali, ne peut pas et ne doit pas nous laisser indifférents. Encore aujourd’hui, les populations déplacées souffrent de ces conflits.
En effet, ce conflit est tout sauf une guerre strictement locale. Le trafic des armes sorties hors de tout contrôle lors de la chute du régime libyen y est pour beaucoup. Dans toute l’Afrique de l’Ouest, l’exode massif des populations notamment au Burkina Faso tout proche risque de démultiplier l’onde de choc dans la réunion alors que le Niger et la Mauritanie peinent déjà à maintenir la paix à leur frontière. Dans ce contexte, les récentes tensions internationales sur les prix des céréales et notamment du blé peuvent accroître et exacerber les risques de famines lors du prochain hiver 2013, avec une absence d’anticipation des autorités régionales comme internationales.
Rappelons tout d’abord quelques éléments sur la situation actuelle : le Bureau des Nations-Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) rappelait début août 2012 que 435 000 personnes environs ont été déplacées (à l’intérieur du Mali) ou réfugiées (Burkina Faso, Niger et Mauritanie principalement), depuis les attaques contre l’armée malienne mi-janvier.
De nombreux cas de choléra ont été signalés, principalement dans la région de Gao, révélant l’urgence liée à la situation sanitaire et à l’accès à l’eau. Mais cette urgence ne doit pas nous faire oublier les enjeux essentiels pour prévenir et limiter les effets de la famine qui s’annonce et qui risque d’être critique à partir de cet automne. La FAO estimait en juillet qu’une aide d’urgence devait être fournie à environ 4,6 millions de personnes, le cinquième de la population malienne. A ce stade, environ 500 000 personnes ont bénéficié de l’aide d’urgence du Programme Alimentaire Mondial, mais ces moyens ne suffiront pas à endiguer ce début de famine.
L’émergence du conflit malien pose une nouvelle fois la question de faire de la prévention des conflits une discipline impliquée au plus haut niveau dans la gouvernance régionale, et internationale, et régulièrement présente dans la politique internationale, la diplomatie et la géostratégie civile et militaire.
En effet, nous pouvons considérer que la situation du Nord-Mali est l’un des effets collatéraux d’un contrôle très déficient de la dissémination des armes libyennes lors de la chute du régime Kadhafi. Faute d’une anticipation suffisante, notamment de la part de la coalition internationale qui attaqua la Libye, l’échec du désarmement des milices constitue un facteur majeur de déstabilisation au Nord-Mali, ainsi qu’un facteur aggravant de la situation au Niger et au Sud-Soudan. Les rebelles Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ont pris les armes pour obtenir l’indépendance du Nord du Mali, soutenus par des mouvances islamiques telles que AQMI, très actif dans la région (revendication d’attaques terroristes, enlèvements, etc.), sur fond de trafic d’armes et de drogues qui trouvent dans la faiblesse de l’Etat et la pauvreté des territoires des facteurs de stabilité pour leur funeste commerce. La situation conflictuelle a été exacerbée par l’arrivée des miliciens libyens et par l’afflux massif d’armes venues de Libye. Le trafic de drogue s’est renforcé dans la zone, aggravé par la multiplication des liens entre les narcotrafiquants et les groupes islamistes basés dans le Sahel, comme AQMI . Cette aggravation du trafic a été engendrée par la perméabilité des frontières, qu’il s’agisse de la Libye de Khadafi, du Niger ou du Mali, et par la faiblesse des capacités de contrôle des Etats.
La situation est suffisamment critique pour avoir provoqué une réunion des chefs d’Etat de 6 pays de la région (Burkina-Faso, Niger, Nigeria, Togo, Côte d’Ivoire et Bénin), le 7 juillet 2012 afin de tirer la sonnette d’alarme et d’appeler à la constitution d’un gouvernement d’union au Mali. La CEDEAO tente un support aux forces maliennes, et une éventuelle intervention armée au travers d’une force armée Ouest Africaine, qui n’est pas encore complètement admis par les forces politiques du Nord-Mali.
Les populations n’ont, en grande majorité, d’autre choix que de fuir, abandonnant leurs activités, notamment pastorales ou agricoles, et laissant le champ libre aux trafiquants, aux milices islamistes. Cela engendre un véritable exode de centaines de milliers de migrants maliens dans les pays limitrophes, dont les capacités d’accueil sont pourtant très réduites, comme le Burkina Faso, la Mauritanie et le Niger, que nous assistons. Cette situation est extrêmement périlleuse dans la mesure où les pays qui accueillent les réfugiés se trouvent déjà dans une situation de stress hydrique et de crise alimentaire engendrée par la sécheresse et l’explosion des prix des denrées depuis 2008, aggravée depuis trois mois tant par le fort enchérissement des céréales (sécheresse aux Etats-Unis) que par la faiblesse des productions agricoles locales en Afrique de l’Ouest.
La première urgence est bien celle de porter assistance aux populations réfugiées ou déplacées, tant sur les questions d’hygiène, que d’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’alimentation. Les besoins sont immenses, me rappelait récemment Ousséini Diallo, président de Green Cross Burkina Faso. Mais, au-delà de l’urgence, il est de notre responsabilité internationale de ne pas faire de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale une région gangrénée par les trafics d’armes et de drogue, sous le contrôle de milices armées laissant démunies des populations locales dans la détresse, sans d’autre espoir que de coopérer.
Le chemin vers cette évolution est périlleux, et nécessite de nouvelles alliances. En particulier celle de changer les équilibres économiques pour les mettre au service de la paix, et d’investir durablement dans les territoires, de manière équilibrée, locale, et notamment en se reposant sur les agriculteurs locaux. Et ceci peut être fait par une transition vers l’économie verte.
En premier lieu, il s’agit de permettre l’émergence de marchés locaux et régionaux de denrées agricoles, pour encourager une agriculture vivrière, de proximité, de maintien de l’activité et de la viabilité en zone aride. Ce qui se fait forcément sur des conditions économiques différentes entre l’Afrique de l’Ouest et les plaines fertiles des Etats-Unis. Pour les pays d’Afrique Centrale et d’Afrique de l’Ouest, il sera nécessaire de mettre en place des barrières douanières et mécanismes de compensation transparents et efficaces, et cette fois avec l’appui et un changement de doctrine de la Banque Mondiale comme du Fonds Monétaire International.
Nous voyons une dynamique encourageante avec les accords commerciaux régionaux (ACR), comme la CEEAC (Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale), la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale, qui réunit le Tchad, la République Centrafricaine, le Cameroun et s’est par exemple réunie récemment sur la question de la professionnalisation de la filière bovine), ou encore l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine). Mais ces organisations pourront-elles seules accélérer la nécessaire transition de l’économie pour permettre un marché alimentaire local et non spéculatif en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale ?
En second lieu, il convient également que la communauté internationale se mobilise plus rapidement, et de manière plus globale, pour lutter contre les trafics d’armes et de drogues dures, souvent dictés ou encouragés par les intérêts économiques des pays les plus avancés. Ainsi, les membres de l’OTAN ont mobilisé de lourds moyens militaires, mais aussi civils, pour lutter contre la piraterie maritime, avec des résultats encore mitigés. On assiste désormais à une inflexion de l’approche, notamment dans la doctrine stratégique française, pour une approche plus globale : comment oublier que c’est en particulier parce que la ressource halieutique a été surexploitée au large des côtes somaliennes que ceux qui vivaient de la pêche se sont reconvertis à la piraterie, hautement plus risquée et meurtrière mais sans alternative possible pour qui veut nourrir sa famille.
C’est pourquoi nous pensons, d’une part qu’il est essentiel d’aider le Mali, le Burkina Faso et le Niger d’une manière efficace et non intrusive à prévenir la famine et à apporter une réponse satisfaisante aux déplacés et réfugiés, mais également de mobiliser la communauté internationale et les entrepreneurs locaux (et sociaux) pour éradiquer les trafics et mettre en place une économie alternative, durable et sereine. Il a fallu plus de trente années pour ébaucher des pistes de solutions en Amérique du Sud. Aidons les autorités locales et les populations à faire ceci plus vite en Afrique Centrale et de l’Ouest, car il y a urgence. En mobilisant probablement les moyens de la diaspora, via les mécanismes les plus efficaces de la coopération centralisée, de nouveaux programmes de développement initié localement, des méthodes innovantes et partagées d’agro-écologie et de pêche durable…le Sénégal tente de s’engager dans cette voie et nous montre que c’est possible, mobilisons-nous pour qu’au-delà de cet exemple naissant la sous-région d’abord pare à ses urgences, puis se stabilise, avec un soutien efficace, maîtrisé et non intrusif de la communauté internationale.
Pour lire des témoignages de familles maliennes déplacées (2013) : Témoignage de Mariam