Ecrit par Nick Nuttall, qui en 2015 était le porte-parole des Nations-Unies en charge du Climat et de la CoP 21.
En mémoire à Naziha Mestaoui, créatrice de l’installation d’art « 1 Heart 1 Tree » lancée à l’occasion du Sommet de Paris sur le climat en 2015, Nick Nuttall, porte-parole de l’ONU à la COP 21, nous a fait parvenir cet hommage. Cette initiative, originale, participative, poétique et engagée, avait été soutenue par UNRIC. Naziha Mestaoui est décédée le 29 avril dernier.
« C’était à la veille de la COP 21, la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique à Paris, où l’extraordinaire talent de Naziha Mestaoui, artiste tuniso-belge décédée à l’âge de 45 ans, avait été admiré pour la première fois par des millions de personnes à travers le monde.
Alors que la nuit tombait sur la capitale française dans la soirée du 29 novembre 2015, l’emblématique Tour Eiffel avait été transformée, passant d’une structure métallique grise et inerte en une forêt verte virtuelle éclatante de lumière, les arbres luxuriants étincelant chaque seconde divinement.
Sur les rives de la Seine, des équipes de télévision et des personnalités, dont le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, l’actrice Marion Cotillard et l’écologiste Nicolas Hulot, avaient applaudi depuis le centre américain Mona Bismark alors que des messages d’amour, d’urgence climatique et d’espoir pour l’humanité, étaient incorporés dans cette émouvante installation artistique.
Peu de ceux qui l’admiraient alors savaient qu’ils assistaient au travail primé de l’une des pionnières de la technologie de cartographie vidéo en 3D en temps réel, qui avait rendu la lumière de 1 Heart 1 Tree non seulement possible, mais révolutionnaire par sa portée, son ingéniosité et son échelle.
La réalisation de cette œuvre n’était pas seulement artistique ou technologique : Naziha avait défié les sceptiques, outrepassé les velléités bureaucratiques, touché les bailleurs de fonds, émerveillé les Parisiens et un public international.
Ce fut un moment d’éblouissement, d’innovation et surtout d’inspiration dans une ville qui se préparait à accueillir dès le lendemain matin 130 chefs d’Etat et près de 50 000 délégués pour l’un des plus importants sommets des Nations Unies de l’histoire (la COP21).
Naziha ne pouvait pas savoir, quand elle avait planifié 1 Heart 1 Tree quelque deux ans plus tôt, ce que cela pourrait signifier aussi pour les Parisiens.
En effet, chaque arbre grandissant, projeté sur la tour Eiffel au rythme du battement de cœur d’une vraie personne, s’était révélé un antidote édifiant pour une ville encore à vif et en deuil à la suite des attentats terroristes survenus à peine 16 jours auparavant.
Naziha Mestaoui, décédée le 29 avril 2020 d’une maladie rare, était née en 1975 à Bruxelles, en Belgique.
Dotée de talents très complémentaires, elle avait tissé un style artistique unique qui combinait l’architecture, les technologies de pointe, l’environnement et une fascination croissante pour la façon dont les peuples autochtones dans des endroits comme l’Amazonie vivaient leur rapport à la nature, sur un pied d’égalité ».
Une partie de son amour précoce pour le monde naturel était due à sa passion pour les plantes médicinales, intérêt partagé avec son père Azedine, issu d’une famille de commerçants prospères de Djerba, en Tunisie, et sa mère belge, Francine.
Sa maison était également souvent remplie d’animaux blessés dont Naziha et ses deux sœurs s’occupaient.
Dans une interview à De Tijd en 2017, elle avait d’ailleurs rappelé : « Enfant, j’aimais déjà la nature. Chaque fois que nous trouvions un oiseau blessé dans le parc, nous le ramenions chez nous pour en prendre soin. Parfois, nous avions jusqu’à 30 animaux dans la maison, des écureuils aux perruches en passant par les pies. Nous placions les oiseaux sous des lumières infrarouges et des grains broyés pour les nourrir plus facilement ».
Naziha avait également rappelé à quel point le souci de la nature était blotti au plus profond d’elle-même. Ainsi, elle avait dit un jour à un journaliste du Figaro : « Je descends d’un saint bien connu à Djerba, dont le nom, Mestaoui, signifie « gardien de la terre »- celui qui prend soin de la nature. C’est dans mon ADN.»
À l’âge de 18 ans, Naziha, qui parlait couramment trois langues, décida d’entrer à l’école d’architecture. Elle était fascinée par la physique quantique qui, expliquant les forces visibles mais aussi invisibles à l’œuvre dans le monde, avait contribué à façonner sa vision de l’humanité et sa place dans la nature.
Ceci la conduisit également à rencontrer, à se connecter intellectuellement et à s’inspirer des cultures des peuples autochtones, dont ceux d’Amazonie, où elle noua par la suite des liens durables avec des communautés telles que celle des Huni Kuin qui vivent à la frontière entre le Brésil et le Pérou.
Elle étudia ensuite à l’Institut de technologie de Graz en Autriche et à La Cambre – un institut basé à Bruxelles, célèbre non seulement pour l’architecture mais pour son école d’arts graphiques – entre 1996 et 1999.
Pendant cette période, Naziha co-fonda également LAB(au), un collectif explorant les impacts des technologies de pointe sur l’art, avant de s’installer à Paris, pour collaborer avec l’artiste et auteur Yacine Ait Kaci.
Sous le nom d’Electronic Shadows, le duo évolua et repoussa les frontières de son style unique de lumière, de son et de numérisation. Il attira l’attention et les commandes du Musée d’art moderne de New York et du Centre George Pompidou, du Metropolitan Museum of Photography de Tokyo et du FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain) d’Orléans.
Puis engagée dans une carrière en solo dès 2011, Naziha lança l’initiative Act with Art, en mettant davantage l’accent sur l’environnement et les valeurs spirituelles. Sa première rencontre avec les Huni Kuin date de 2012, lors d’un voyage au Brésil.
Cet événement allait changer sa vie, accélérant non seulement sa détermination à agir sur les dommages environnementaux, mais concrétisant également le concept de « fygital » – l’idée qu’une installation d’art numérique peut inspirer un acte transformationnel dans le monde réel.
Naziha décrivit le moment où elle eut l’idée de 1 Heart 1 Tree. Elle avait participé à une cérémonie traditionnelle impliquant une bière spéciale brassée localement :
« Un batteur jouait un rythme en permanence. Et au bout d’un moment, on s’aperçoit que les battements de cœur de chacun sont synchronisés avec ce rythme. Vous vivez sur la même fréquence et cela relie tout le monde », se remémorait ainsi Naziha.
Ce moment dans la forêt, à des centaines de kilomètres de la ville la plus proche, conduisit l’artiste tuniso-belge à concevoir une application numérique. Celle-ci permettrait à une personne de sélectionner un arbre sur un écran, à l’aide de son doigt, et l’application de détecter alors le battement de son cœur, à partir de son pouls.
A Paris, à la veille de la COP21, sommet historique sur le climat, c’est cet événement artistique qui a en partie créé un spectacle unique, dont ont été témoins les nombreuses personnalités, au bord de la Seine, et les téléspectateurs du monde entier.
Dans le monde réel, les arbres choisis et payés par les participants ont conduit à la plantation de 100 000 arbres, sur des sites allant du Brésil au Pérou en passant par le Kenya et l’Inde. Ces arbres ont non seulement contribué à lutter contre le changement climatique mais aussi à améliorer la vie des populations locales.
Après Paris 2015, Naziha est revenue chaque année passer quelques mois avec les peuples autochtones du Brésil et s’est investie dans de nouveaux projets, dont un programme d’orangers au Sénégal avec l’association caritative Oceanium.
Avant sa mort, elle était en discussion avec des partenaires à Miami, en Floride, et avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement autour d’un projet baptisé 1 Heart 1 Ocean.
Equivalent marin de l’installation climatique qui avait ému le monde en 2015, dans la lignée de 1 Heart 1 Tree, le nouveau projet aurait projeté des coraux et des herbiers marins sur des bâtiments emblématiques afin de permettre aux citoyens de soutenir la protection des océans dans le monde réel.
Naziha Mestaoui, artiste, environnementaliste, pionnière des installations d’art numérique 3D et architecte, laisse dans le deuil ses parents Azedine et Francine et ses 2 sœurs.