« L’Arctique brûle,
L’Amazonie brûle,
La mer brûle…
Et tant que nous n’aurons pas éteint ces incendies, nous ne pourrons pas être en paix. »
Ces paroles, prononcées le 22 septembre 2019 à New-York en préparation de l’Assemblée générale des Nations unies, lors d’un échange entre Jean-Michel Cousteau et le chef Raoni Metuktire, résonnent tout particulièrement à nos oreilles. L’urgence d’agir est pressante, il nous appartient de lancer très rapidement des actions à échelle humaine et d’une portée adaptée à la crise actuelle.
La mise en perspective apportée par l’exposition « Amazônia » du Prix Carmignac du Photojournalisme met en avant les enjeux et la vie quotidienne dans cette zone de tous les enjeux, et nous a inspiré.
Nous avons effectué de cette exposition une lecture en 3 constats, qui sont autant de raisons d’agir pour une planète préservée et un futur plus serein :
- Encouragés par les leaders politiques locaux, bénis par les églises, les « pionniers » incendient la forêt primaire pour s’emparer de la terre et y développer monoculture industrielle et élevage extensif,
- Les populations amérindiennes sont en danger, comme les écosystèmes auxquels elles s’identifient
- Les incendies en Amazonie ont une portée universelle et questionnent notre mode de développement.
Les enjeux sanitaires liées au Covid19 ont encore aggravé la situation.
C’est pourquoi Green Cross, répondant à sa raison d’être environnementale et humaniste, effectue en réponse aux enjeux mis en avant par le prix avec 5 propositions concrètes, qui sont autant de clés pour agir, qui peuvent concrètement être activées dès maintenant.
Les 3 constats mis en perspective par l’exposition « Amazônia » du Prix Carmignac
- Encouragés par les leaders politiques locaux, bénis par les églises, les « pionniers » incendient la forêt primaire pour s’emparer de la terre et y développer monoculture industrielle et élevage extensif
Les incendies de l’Amazonie émeuvent la communauté internationale par leur violence et leur ampleur. Pourtant, ils sont vécus localement comme une promesse, l’accès de la classe moyenne à la propriété terrienne, à un petit pavillon sur les terres « gagnées » sur la forêt et à un 4×4 acheté à crédit. Cela passe par la conquête par le feu, doublée d’une violence directe contre ceux qui s’y opposent, avec pour horizon la culture industrielle du soja, l’élevage bovin massif, la construction de routes dévoreuses d’espace et l’installation d’habitats dispersés faits de tôles, de climatiseurs et d’équipements énergivores, sans la moindre considération pour les principes de l’urbanisation. Les autorités locales, mais aussi les banques, accompagnent cette colonisation par des formalités administratives réduites, un accès facilité au crédit et une communication positive. Le tout avec la bénédiction des églises, en particulier des évangélistes américains, qui influent sur le jeu politique et encouragent l’accaparement des terres, y compris par la force.
- Les populations amérindiennes sont en danger, comme les écosystèmes auxquels elles s’identifient
Ces terres sont habitées par des communautés traditionnelles indiennes, structurées par un lien très étroit avec la nature. Affaiblis par des attaques répétées et les pollutions de leurs écosystèmes, niés dans leurs droits humains et civiques et leur rapport intime à la terre, les Indiens d’Amazonie luttent pour leur survie, qui va de pair avec la préservation de la forêt, de l’eau et la lutte contre les pollutions. C’est le cœur même de leur vitalité, de leur civilisation, qui est assailli sur plusieurs fronts. Leur détermination est grande, leur mode d’action pacifique, mais ils sont très minoritaires et leur voix est bien faible.
Face à l’emprise de l’agriculture sur la forêt, soutenue politiquement et économiquement car génératrice de revenus rapides dans une économie à la dérive, les arguments de la raison ne portent guère. Cinq cents ans après les plaidoyers de Bartolomé de la Casas, l’Histoire se répète sous ses formes les plus tragiques.
- Les incendies en Amazonie ont une portée universelle et questionnent notre mode de développement
Autant la préservation de l’Amazonie n’est aujourd’hui soutenue par aucun modèle économique, autant la déforestation s’inscrit dans des schémas robustes. Il s’agit de produire pour les marchés internationaux du soja dopé aux fertilisants et aux pesticides qui servira aux alimentations animales et humaines, de développer l’élevage bovin pour le marché intérieur et extérieur et d’exporter bois et métaux précieux. Ces produits dont les prix sont régulés à l’échelle internationale ne servent que très peu au développement local. Les besoins associés d’infrastructures et de capitaux attirent l’investissement public et privé, considéré comme outil de régulation et de développement dans une économie très instable.
Pourtant, les marchés du soja, de la viande, du bois ou des ressources minières sont extrêmement volatiles. Aujourd’hui concentrés sur l’Amazonie, ils pourraient se tourner vers d’autres régions du monde. Mais les atteintes à l’environnement, les pollutions multiples de l’eau et des sols, les pertes de biodiversité et la négation des droits humains des Amérindiens ne disparaîtront pas avec eux…
Dans leur grande majorité, les profiteurs de cette déforestation n’habitent pas l’Amazônia, ni même le Brésil : ils sont américains, européens, asiatiques. C’est donc par notre exigence de labels éthiques, par une évolution de notre consommation vers des produits sains, locaux et saisonniers, par une alimentation plus diversifiée et moins carnée que nous pourrons endiguer cet incendie de l’Amazonie.
Il nous appartient également de changer l’imaginaire de nos modes de vie : l’accès à la propriété d’une maison individuelle mal isolée dans une banlieue sans centre, d’un gros véhicule acheté à crédit pour rallier l’hypermarché le plus proche ne sont plus – à supposer qu’ils l’aient jamais été – un modèle de développement humain souhaitable et souhaité par nos sociétés occidentalisées.
Il s’agit également d’aider, à l’échelle internationale, à la reconnaissance de droits humains essentiels : l’accès à l’eau, à l’alimentation et à un habitat décent.
Nos 5 propositions pour apaiser la région et préserver son futur
Proposition 1 : mise en place rapide d’un fonds de préservation de l’Amazonie, fortement doté et capable d’intervenir par acquisition foncière sur les territoires les plus vulnérables.
Dans les situations d’urgence, des fonds dédiés permettant l’acquisition et la sanctuarisation foncière d’espaces menacés ont montré leur pertinence. C’est le cas du Conservatoire du littoral en France ou du National Trust en Grande-Bretagne.
Une telle structure peut être mise en place rapidement, y compris par un montage de droit privé. Pour répondre à l’émotion internationale suscitée par les incendies de l’Amazonie brésilienne, elle pourrait recueillir les dons du monde entier, les transformer en acquisitions foncières dans les zones à fort enjeu et organiser avec les parties prenantes locales, en particulier les Amérindiens, des modes de gestion garantissant biodiversité essentielle et respect des droits humains.
Proposition 2 : développement d’un cadastre et d’un état civil coutumier de l’Amazonie et actions en reconnaissance provinciale, nationale et internationale
Jusqu’à maintenant, le rattachement de la terre aux communautés fait l’objet d’une reconnaissance très partielle et d’une trop faible formalisation, transmise par la culture orale et les chefs coutumiers.
Le développement des outils de recensement a été effectué principalement dans l’état civil, omettant ou niant purement et simplement la transcription foncière des droits des communautés amérindiennes.
Utilisés en Afrique, en Amérique du Sud ou dans l’océan Pacifique, des outils modernes de référencement cadastral et d’état civil, aisés à mettre en place à l’échelle territoriale et utilisant Internet et une « blockchain » pour une identification rapide et une connaissance partagée, peuvent fournir une information cadastrale et d’état civil à même de protéger les populations amérindiennes et d’endiguer l’accaparement des terres. La coexistence en Nouvelle-Calédonie d’un statut coutumier et d’une propriété foncière inscrite dans le code civil, des initiatives similaires menées au Bénin et en Nouvelle-Zélande montrent tout l’intérêt de cette connaissance foncière et identitaire pour une préservation de la paix, des droits humains et de l’environnement.
Proposition 3 : création d’une base de données sur le mécanisme des incendies et la réalité des exactions constatées localement, et facilitation du rôle de lanceur d’alerte
Il n’existe pas à ce stade de site Internet ou de base de données rendant accessibles à l’ensemble des populations les informations issues de l’imagerie satellite, des sources d’informations locales ou de l’action des lanceurs d’alerte, et en les comparant pour que les ressentis des uns s’enrichissent des faits et des interprétations des autres. Un tel outil présenterait une image précise des incendies, des atteintes avérées aux droits humains et des pollutions en Amazonie.
La constitution de ce site, qui pourrait être international et étendu à d’autres zones, offrirait une information ouverte et disponible pour toutes celles et ceux intéressés par la préservation de l’Amazonie. Elle fournirait également aux lanceurs d’alerte un moyen simple et anonyme de partager leurs informations et apporterait une vision consolidée aux décideurs souhaitant se mobiliser.
Proposition 4 : création d’un label « Amazonie préservée » volontaire pour tous les produits en provenance d’Amazonie
Les incendies en cours en Amazonie sont l’un des effets de notre consommation, et pourtant la plupart d’entre nous sont incapables de tracer le lien entre un acte de consommation individuel et son impact sur l’Amazonie.
C’est pourquoi nous préconisons la création d’un label « Amazonie préservée » et son accompagnement par une campagne de sensibilisation du grand public et des principaux acteurs du marché.
Ce label pourrait par exemple garantir que pas plus de 1 % d’un produit n’est directement lié à la déforestation de l’Amazonie, à la pollution de ses eaux ou de ses sols, ou à la violation des droits humains sur l’immensité de son territoire. Il serait financé par une dotation initiale, puis le prélèvement de 0,1 % du prix de vente de chaque produit serait consacré à l’information sur le label et au développement d’initiatives pour une préservation humaine et environnementale de l’Amazonie.
Proposition 5 : mobilisation régionale pour un développement humain pacifique en Amazonie par une conférence territoriale et économique au premier semestre 2020, débouchant sur des engagements concrets et opposables
Les décideurs économiques et territoriaux de l’Amazonie ont aujourd’hui peu d’alternatives de financement à la déforestation, présentée comme voie d’accès des classes moyennes à la prospérité.
Pourtant il existe, en particulier en Amazonie colombienne et péruvienne, des exemples encourageants et transposables de transformation écologique, économique et sociétale performante, basée sur des modèles de restauration des écosystèmes et de commerce équitable et vertueux.
Une conférence régionale à annoncer rapidement, et qui présenterait les résultats de ces travaux lors du 25e Congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (à Marseille, en janvier 2021), permettrait de référencer ces pratiques et d’améliorer les outils des concours bancaires et des financements privés en Amazonie, mais aussi de l’investissement public et territorial. Le tout pourrait être soutenu par des engagements institutionnels, comme la mobilisation de compartiments dédiés du Fonds vert pour le climat, de la Banque mondiale et du FMI, et faire l’objet d’abondements spécifiques de grands groupes via le WBCSD (Conseil mondial des affaires pour le développement durable) ou des structures dédiées.
Rendons ces propositions effectives : nous nous engageons à leur apporter une grande visibilité et à les inscrire au débat public, pour qu’elles se transforment en engagements opposables. La survie de l’Amazonie est à ce prix.