Mettre en œuvre une approche économiquement responsable d’un point de vue environnemental et social, intégrant les enjeux liés à l’eau, à l’alimentation et aux énergies renouvelables, apparaît déterminant pour créer les conditions d’un développement durable, lutter contre la pauvreté et lutter contre les facteurs d’instabilité du continent. L’économie de l’extraction de la ressources (forêt, minerais, pêche…), historiquement largement majoritaire, repose sur une exportation quasi-exclusive des matières premières. Il est grand temps d’en réinvestir les dividendes pour évoluer rapidement vers une économie des territoires, avec l’aide de la diaspora, pour rendre l’économie productrice d’emplois et de plus-value sociale sur le territoire. Et ce dans une logique d’éradication progressive de la corruption, de transparence et d’éducation. Nous pensons que cette transition commence, timidement mais surement, à s’opérer, autour d’une économie verte, et des domaines d’activités suivant : l’accès et la maîtrise durable de l’eau, de l’énergie, et de l’alimentation, les énergies renouvelables et une anticipation des conflits via une dynamique socialement responsable et ancrée sur les territoires. L’ensemble de ces enjeux s’inscrit dans une perspective de long-terme, et nécessite d’adopter une approche intégrée et transparente.
Les entreprises européennes sont présentes en Afrique depuis longtemps, rejoints et distancées désormais par les intérêts américains et chinois, alors qu’une coopération sud-sud plus territoriale se développe avec le Brésil, et dans une moindre mesure l’Inde. La responsabilité sociale des entreprises y a dans ce contexte été régulièrement vue comme une manière de rassurer le consommateur final, de lui donner bonne conscience via la mise en avant d’une norme réputée satisfaisante. Il est grand temps de dépasser cette première étape, nécessaire mais largement insuffisante, pour mettre en place une responsabilité qui ne soit plus d’incantation, mais incarnée, et repose sur une véritable intégration entre les entreprises et leurs territoires. C’est par ce biais que l’on créera réellement une valeur partagée profitable à tous, et à même de prévenir de nombreux conflits.
Nous pensons que la coopération territoriale, notamment via l’Union Africaine et la Cédéao, est essentielle pour initier, encourager et développer ces pratiques. L’objectif politique majeur du régionalisme africain réside dans la mise en place d’une stabilité durable au niveau régional, notamment via la signature de pactes de non-agression et d’entre-aide. Ce qui passe par une exploitation plus raisonnée des ressources, une transformation sur et avec le territoire. Elle nécessite une coopération technique et commerciale, permettant de pacifier la zone et rationaliser les moyens, objectifs et productions. Coopération actuellement en cours de construction, notamment via la mise en place de tarifs extérieurs communs, de législations unifiées (en matière d’agriculture, d’industrie, etc.), de politiques sectorielles communes dans les secteurs clés, ou encore de commerces de biens et services exonérés de droits de douane au sein de ces zones.
Si la croissance a été au rendez-vous ces dernières années en Afrique, la création d’emplois n’a cependant pas été proportionnelle à l’augmentation du PIB. Le chômage reste élevé, surtout en Afrique du Nord, et la croissance n’a pas encore permis une réduction significative de la pauvreté. Car cette croissance est en effet en partie due aux industries extractives fortement capitalistiques déconnectées du reste de l’économie.
Le Brésil a bien compris l’intérêt à encourager cette coopération territoriale. En particulier en Angola, sur les investissements dans l’énergie effectués via des PME locales qui investissent pour recruter et transformer sur leur territoire. De même, l’enjeu agricole en Afrique appelle donc le développement d’une production locale génératrice de revenus décents pour les agriculteurs, qui soient à même de concurrencer la manne tirée des ventes de terres aux investisseurs étrangers. Et pour ceci, l’innovation et les échanges nord-sud sont au cœur des solutions.
Nous pourrions par exemple citer la pêche artisanale dans le parc piroguier de Kayar, au Sénégal, constitué de 350 embarcations dont 93% sont motorisées. La spécialité de Kayar est la pêche du jour réalisée par les pêcheurs à la ligne et destinée en grande partie à l’approvisionnement des entreprises d’exportation des produits halieutiques frais. Il est géré de manière communautaire, avec des règles de gestion coordonnées pour maintenir un bon état halieutique (zones et périodes de pêche, taille minimale des poissons…). Les pêcheurs ont ainsi multiplié leur revenu par 3 à 5 sur les 10 dernières années, créant de la valeur sur le territoire et permettant à leur entourage une consommation accrue des poissons locaux, mais également l’apparition de nouvelles activités connexes nécessaires et financées (séchage et conserverie, services aux pêcheurs, salubrité des aires de débarquement, sécurité en mer, vie sociale du village….
Un facteur de succès essentiel est également de développer une filière locale. L’agriculture africaine doit davantage être tournée vers l’agro-industrie locale, moins vers l’export sans valeur ajoutée. Il s’agit donc de pouvoir transformer sur place, en développant le commerce et l’artisanat. Des investissements dans la formation sont donc nécessaires pour développer une filière locale performante.
Citons ici l’exemple de Dominique Souaty et de l’entreprise Savon Plus au Congo Brazzaville : il a initié, une activité de savonnerie à partir de denrées agricoles de proximité, qui a servi le marché des hôtels locaux de chaines européennes, afin de développer l’activité et d’avoir les capitaux permettant de fournir à un prix adapté le pain de savon quotidien des familles sur le marché local. La réussite de ce modèle a ensuite, petit à petit, permis de monter une unité papetière pour emballer les savons à partir des co-produits agricoles, et permettre de développement de la lecture et l’écriture pour habiller les emballage des savons. Le tout dans une logique d’économie formelle. On voit ici tout l’intérêt pour contribuer à structurer via une activité entrepreneuriale locale le développement de l’hygiène, d’une filière de qualité, de l’éducation et la recherche d’un développement urbain apaisé.
De nombreux efforts restent encore à faire afin d’assurer aux populations africaines un développement durable conciliant croissance et développement humain. Le développement d’une nouvelle responsabilité des entreprises est au cœur de ce modèle. Cette responsabilité réinventée permettra une meilleure allocation des capitaux, non plus vers l’immobilier ou les combustibles fossiles, mais vers la transition écologique de l’économie en faveur du développement. L’accent doit être mis sur l’innovation, le partage d’expérience et la valeur partagée sur le territoire. Elle passe par l’économie verte, qui permettra de relever localement et concrètement les défis économiques, sociaux et environnementaux de notre siècle.
Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires