“Zéro carbone” est en réalité une simplification de « zéro carbone net », à savoir un équilibre entre émissions et absorption. On voit donc tout de suite apparaitre les enjeux que sont la réduction des émissions et la capacité des milieux (océans et forêts notamment) à absorber et donc l’enjeu de résilience systémique qui passe donc par la transition sociétale et la protection des écosystèmes.
Concernant la transition sociétale, l’objectif « zéro carbone » (qu’il est plus juste d’élargir à « zéro émissions nettes » afin d’intégrer l’ensemble des gaz à effets de serre) nous impose de revoir l’ensemble du système énergétique de la production à la consommation. Sur le plan opérationnel, il y a là des difficultés structurelles et d’échelle croissantes. La production en effet concerne des outils de production majoritairement massif et recourant majoritairement à de ressources de stocks. Dit autrement, il s’agit de production centralisée qui distribue une énergie produite à partir de ressources finies. La feuille de route qui s’impose à nous n’est donc rien d’autre que de passer, d’une part, d’une énergie de stock à une énergie de flux et, d’autre part de transitionner d’une production très centralisée vers une production distribuée.
Transition sociétale
Sur le premier point, il s’agit donc de se passer le plus rapidement possible des ressources fossiles, mais également du nucléaire puisque ces deux modes de production reposent sur des ressources finies et distribuées de manière hétérogène sur terre, ce qui engendre des disparités d’accès et des tensions géopolitiques évidentes. À ces productions doit se substituer le recours aux énergies de flux, c’est-à-dire l’utilisation de ressources non soumises à un processus d’érosion d’un stock. Il s’agira donc de l’énergie du soleil, du vent, des gradients thermiques, des rivières, des courants marins, etc. autant de solutions qui sont déjà en phase de maturité technologique et pour lesquels les rendements économiques n’ont plus rien à envier, bien au contraire, aux productions anciennes.
Sur le second plan, le passage de production très centralisée à des productions distribuées repose sur une transition vers un rapprochement de la production et de la consommation et la valorisation des potentiels là où il se trouve. Il n’est cependant pas question de miter les territoires avec un maximum d’installation, mais bien de produire les contextes favorables à une optimisation des productions en passant par une concertation ouverte et inclusive, une valorisation des capacités présentes sur les territoires et enfin une solidarité réelle permettant de compenser les potentialités par des productions adaptées. De même, notons ici que les enjeux de consommation sont un maillon incontournable pour, non seulement limiter les consommations en éliminant le superflu, mais également limiter dès l’amont ses surconsommations. Ce sont donc là des enjeux de mobilité, d’isolation des bâtiments, de vivacité systémique des territoires, ou encore de transition de système (agricole par exemple) pour transitionner vers une zéro-utilisation de matières fossiles.
Protéger les écosystèmes
Enfin, concomitamment à ces transitions sociétales, la protection des écosystèmes est infiniment plus simple à concevoir, autant sur les objectifs que sur les bénéfices et co-bénéfices. Il est ici question notamment des écosystèmes marins et forestiers, mais également du fonctionnement global et local du cycle de l’eau, du maintien des dynamiques du pergélisol (permafrost), du fonctionnement des prairies, de la qualité et la vivacité des sols, etc. Protéger les écosystèmes consiste tout simplement à éviter toute atteinte à leur dynamique et à leur fonctionnement. Si depuis quelque temps nous avons vu poindre la fameuse séquence ERC (éviter, réduire, compenser), il faut reconnaitre que très largement la compensation est appelée à la rescousse alors la réduction permettrait de stimuler l’innovation tout en limitant les atteintes et l’évitement stimulerait également l’innovation, mais inviterait également à imaginer des solutions systémiques. Notons en la matière le très faible recours aux solutions fondées sur la nature (SBN) qui ont pourtant, là où elles sont mises en œuvre, des solutions qui donnent satisfaction.
Si l’ambition « zéro carbone » est un beau slogan, il demeure assez navrant de constater que la mise en œuvre de solutions peine à rencontrer une dynamique porteuse, attractive et générant un cercle vertueux. Il y a là clairement un enjeu parallèle qui n’est autre que le développement d’une gouvernance nouvelle nourrie de participation, d’inclusion et de connaissance qui doit également pousser au développement d’un financement innovant permettant de stimuler la désirabilité et donc la mise en place des solutions indispensables tout autant qu’urgentes.
Innovation, vivacité des territoires, mieux manger, mobilité, protection des écosystèmes, etc. Les champs à investir sont légion pour répondre aux enjeux. Si 2050 est un objectif pour atteindre la neutralité carbone, force est de constater que si la course à commencer, le départ n’est pas des plus rapides. Il faut pourtant atteindre cet objectif… Sans oublier que, chaque jour de retard s’ajoute au crédit que ne nous fera pas la dynamique climatique et que la recherche en la matière ne nous apporte que davantage de pondération ce qui doit nous amener à envisager que 2050 est peut-être / surement déjà un objectif très insuffisant.
Résilience territoriale et sobriété heureuse sont finalement les deux objectifs que nous devons atteindre. Il n’est plus temps d’en discuter. Il n’est qu’urgent d’accélérer les transitions. Pour un avenir serein. Pour nous. Pour nos enfants. Pour un monde qui ne conclut pas sa révolution technologique par une révolution dramatique.